Les messages de ce blog proviennent d’un long texte que je suis encore en train d’écrire. Je n’avais, au départ, pas l’intention de rendre public ce texte. Ma seule motivation était (et est toujours) de mettre par écrit tout ce qui me tient le plus à cœur en tant que simple témoignage de ce que peut être la vie pour quelqu’un. 
      En repensant à l’extrait ci-dessous, je me dis qu’il ne s’agit pas d’un de ces récits égocentrés que l’on trouve régulièrement sur Internet, mais d’une autre manière de traduire très concrètement les liens entre des expériences sensibles (pas seulement esthétiques) et désir de liberté. C’est pourquoi j’inclurai de temps en temps des témoignages de ce type :

    J’ai entendu parler de Bark Psychosis pour la première fois en 1996 alors que je découvrais Internet au cours de mon année passée sur un campus de Floride en tant qu’assistant-professeur de français. Sur un forum, un internaute faisait la comparaison entre leur musique et celle de Talk Talk. 
     Après une année difficile passée sur ce campus, j’ai profité de la dernière semaine avant mon retour en France pour effectuer une petite virée en voiture avec quelques amis américains. Nous nous sommes rendus à Atlanta en Géorgie et avons passé une nuit chez les parents d’une de nos amies, Jill. Alors que nous nous promenions dans les rues ensoleillées et animées du centre ville, nous tombons sur un disquaire du nom de Criminal Records. 

    En fouillant un peu, je repère le CD de Bark Psychosis, Hex, coincé dans des rayons sous verre situés en dessous de la caisse. Je signale à l’une des vendeuses que je souhaite acquérir ce disque. Cela peut sembler ridicule, mais je n’ai jamais oublié la remarque qu’elle m’a faite alors. « C’est un excellent disque », m’a-t-elle dit avec une certaine retenue, sans enthousiasme débordant, certes, mais sans froideur non plus (avec, en revanche, une certaine admiration). C'était un peu comme si le disque lui-même me disait par l'intermédiaire de cette personne : « Ça fait longtemps que je t'attendais. Je suis content que tu m'aies enfin trouvé... ». C'est vraiment l'impression que j'ai eue.  J'irais même jusqu'à dire que ce disque, cette jeune femme et moi-même avons formé, le temps de ce bref échange (qui n'était pas uniquement commercial) une entité « autre » aussi belle qu'éphémère (on voit bien qu'il s'agit ici d'une expérience collective aussi infime soit-elle). 
    En tout cas, je n’avais pas encore écouté ce disque que je sentais déjà qu’il s’agirait d’une rencontre importante pour moi. Je me souviens ensuite d’avoir écouté le premier morceau, « The Loom », dans la petite chambre d’amis dans laquelle nous nous trouvions chez les parents de Jill. Je me souviens encore de cet instant où les premières notes de piano ont commencé à résonner.

    Il m’est difficile de trouver les mots justes, mais j’ai eu le sentiment que c’était comme si j’écoutais de la musique pour la première fois. Cette musique en venait à exprimer pour moi une sensation de déchirement, lorsque l’on ressent la présence de toutes ces vies que l’on aurait pu avoir ainsi que de toutes celles que l'on aura peut-être, et que le chemin que l’on a pris n’est pas forcément meilleur qu’un autre. 

     Une drôle de mélancolie persiste. 

    Je repense à ces rencontres, à ces lieux croisés par hasard, à ces amis, ces personnes que je ne reverrai sans doute jamais (ils sont toujours avec moi). Clairement, ce disque traduit, pour moi, ce sentiment d'être à la croisée de plusieurs vies, de vouloir « trop vivre » ou ne pas vivre du tout. 

       Bien plus tard, j’ai appris que les membres de Bark Psychosis vivaient dans des conditions particulièrement difficiles au moment où ils produisaient ce disque (certains vivaient dans des squats et se nourrissaient des restes de ce que d'autres musiciens avaient laissé dans le studio), sa création ayant fini par les épuiser et provoquer la dislocation du groupe. 
     Depuis, j’ai toujours eu l’impression que cette musique avait son existence propre, qu’elle était un monde à part (entière) qui échappait même aux musiciens qui l’avaient créée. Par la suite, j’ai réalisé que les musiques qui me touchaient le plus étaient de cette sorte, des musiques qui vous invitent à franchir des seuils, qui vous accompagnent à chaque instant de votre vie, tout cela dans la plus grande discrétion, principalement par le biais de sons et d’atmosphères.   


 

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