« On sent bien, dans la démarche de Connors, cette volonté d’aller au cœur d’une même vibration qui est aussi bien celle du corps que du cosmos », écrivais-je dans mon dernier message sur Loren Connors.

     Néanmoins, je ne souhaite pas en rester à des remarques qui pourraient sembler purement abstraites. Il me paraît plus intéressant d’essayer de mettre des mots sur quelque chose de plus personnel, cette impression que les musiques et les lieux que l’on traverse en viennent, à un moment donné, à former une nouvelle entité, à naître en même temps, si je puis dire.


     Ainsi, je garde un très beau souvenir d’une balade nocturne à Londres quelques semaines après être tombé sous le charme de The Departing Of A Dream (Vol. V et VI). En attendant l’heure d’un concert programmé au Café Oto un soir de janvier 2018, je me suis promené dans le quartier de Dalston en écoutant la musique de Connors. Je suis ainsi passé devant une série d’immeubles modernes situés tout près de la bibliothèque C.L.R James. Rien de bien exceptionnel. Néanmoins, après avoir traversé la place principale, je me retrouve dans un quartier où se succèdent une série de petites maisons « à l’anglaise » où se niche, parfois, un petit espace vert partagé. Je ne croise pratiquement personne et il y a peu de lumières aux alentours.

     Quand je repense à cela, j’ai l’impression de n’avoir fait qu’un avec cette musique et l'environnement dans lequel je me déplaçais… Un milieu... éphémère ?
                                           

                                                                   « C’est l’idée, trop imagée, de celui qui se tient devant un tableau et
le saisissement est si fort qu’il s’effondre, devant. » (J.-C. Rousseau)


     J’aime beaucoup avoir de telles expériences, des moments dans lesquels on est à la fois très lié au présent et à ce qui nous entoure tout en ayant l’impression d’évoluer dans d’autres espaces, situés en dehors de notre perception mais qui nous accompagnent et se transforment avec nous à chacun de nos pas. Pour moi, la musique « abstraite » de Loren Connors sera toujours associée à cette balade nocturne. 

 
     C’était également une manière d’être en contact avec Connors lui-même, puisque je savais qu’il avait joué au Café Oto deux mois auparavant (novembre 2017) et que sa présence hantait encore, pour moi, cette salle de concert qui se trouvait tout proche du lieu de mes déambulations. Autrement dit, il m’a été possible d’effectuer des liens très forts entre une personne absente/présente, sa musique et un environnement nouveau pour moi. 


     En écrivant cela, j’ai l’impression qu’un monde s’est même constitué à partir de  cette conjonction de mouvements.   Je ne me déplaçais pas seulement dans plusieurs espaces en même temps. Il y avait cette sensation de faire partie d’un espace autre, d'un espace protégé, beau et éphémère. 
     Le paysage que j’ai tenté de décrire succinctement au début de ce texte, celui qui orne la pochette de « Hex » de Bark Psychosis, représente, pour moi, un tel espace ; celui de tous les possibles, à la fois très concret et très abstrait, qui ne peut prendre forme que de manière collective par le biais de rencontres souvent improbables et imprévisibles mais qui nous permettent d’être libres, ne serait-ce qu’un instant.

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