J’aimerais parler maintenant d’un morceau de Bark Psychosis qui utilise l’espace et la matière sonore d’une manière très singulière. Parler de ce morceau me donnera ainsi l’occasion d’écrire sur d’autres musiques qui ont donné beaucoup d’importance à la transformation des sons et des formes, tout cela pour exprimer très concrètement, me semble-t-il, les sensations qui vont de pair avec d’autres manières de vivre.

     Le morceau s’appelle « Scum » et dure plus de vingt minutes. Je ne le décrirai pas en détails. Autant l’écouter par vous-mêmes. Je souhaite néanmoins revenir sur certains de ses aspects. En y repensant, et après une vingtaine d’années d’écoutes, je réalise que « Scum » est un peu comme la face cachée du « New Grass » de Talk Talk (ce qui ne veut pas dire que le premier morceau serait plus sombre et le second, plus lumineux).   

Vous pouvez écouter « New Grass » ici.

     En effet, dans les deux cas, aussi bien dans le choix des paroles que dans leurs structures, ces deux morceaux semblent ouvrir et explorer des territoires inconnus dont on ressent la présence de manière très intuitive, mais qu'il est encore difficile de percevoir.
     Contrairement à la « nouvelle terre » (la « nouvelle herbe ») évoquée dans le titre de Talk Talk, le mot « scum » se réfère, lui, à « la lie » (de la société), la vermine, les « moins que rien » : tous les improductifs et rebuts de la société capitaliste.
     Le titre est également une référence à un disque de Napalm Death et, de manières plus implicite, à un long "anti-poème"  (destiné à être lu à haute voix) d'Alex Binnie ainsi qu’à un film d’Alan Clarke (je me demande d’ailleurs si ce n’est pas la diffusion de la première version de ce film à la télévision anglaise qui a provoqué la fermeture des borstal, ces « fameuses » maisons de redressement pour mineurs délinquants qui sont décrites dans le roman d'Alan Sillitoe, The Loneliness of The Long-Distance Runner (1959) ainsi que dans l'adaptation cinématographique de Tony Richardson (1962)).

(Photo by Kat Gollock)

     Sorti quelques mois après Laughing Stock (en 1992), « Scum » est connu pour avoir été enregistré dans une église, ce qui donne au morceau une identité sonore très particulière. Les sonorités semblent ainsi émaner du lieu lui-même qui devient ainsi un instrument à part entière. 

     J’ai souhaité écrire sur « Scum », car on y trouve un passage (qui revient à deux reprises, après une montée de tension particulièrement stridente) où l’on entend un enregistrement d’un office religieux ayant eu lieu au sein de cette même église. Il s’agit d’un échantillon, d’un « sample », de quelques secondes, joué et donc mis en boucle à certains moments par l’un des musiciens du groupe. 
     On perçoit clairement des voix, une clameur et même ce qui ressemble à des cris (on en vient à se dire que ces sons auraient pu avoir été enregistrés dans une église afro-américaine). Bien que l’ambiance générale du morceau soit plutôt sombre, ce passage n’est pas forcément inquiétant (le jeu de batterie qui l’accompagne est d'une énergie constante, même si la prise de son lui donne un aspect mystérieux).


     Je n’ai jamais ressenti d'émotions particulières à l’écoute de ce morceau, contrairement à « New Grass » qui a tendance à provoquer chez moi une sensation d’apaisement, de libération. 
     En revanche, avec « Scum », les flux et les reflux de guitares vous font littéralement ressentir « ce que ça fait » de passer d’un monde à un autre, les échos de la congrégation pouvant aussi bien évoquer de la joie que relever d’une forme d'avertissement (concernant d'éventuels dangers présents et à venir). La tonalité générale du morceau renforce cette sensation ambigüe. Les quelques paroles que l’on dirait à la fois chantées et murmurées dans la première partie du morceau m’ont toujours parlé de par leur simplicité.

« It's all around you
It's all about you
Don't tell me that we're all free
You can't escape what you can't see. »

     Dans la dernière partie du morceau, le tempo se transforme, s'accélère, mais semble hésiter... Le rythme est continu, mais on a l'impression qu''il peut s'effondrer à tout moment. Une certaine énergie se dégage de l’ensemble et les arrangements de piano et de guitare n’expriment pas d’émotions particulières, davantage une sensation de mouvement qui semble créer et sculpter la matière qu’elle traverse de par sa progression.

     En écoutant ce morceau, on peut avoir l’impression de traverser plusieurs pièces qui ont l'air de se ressembler, un peu comme si l'on s'était perdu en chemin et que l'on réalise que l'on est déjà passé par tel ou tel sentier... Je reviendrai sur ce type de ressentis très bientôt...

 

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