« Il ne voit rien à l'avance. Il ne voit que ce qui est là et ne cesse d'être là. »
    Peut-être... Sûrement... Peut-être voit-il, entend-il également ce qui n'est pas là et ne cesse de ne pas être là..?


     J’ai souhaité parler du morceau « Scum » de Bark Psychosis car, comme je l'ai déjà précisé plus haut, les rapprochements possibles avec le « New Grass  de Talk Talk me sont venus récemment. Même s'il y a de nombreux points communs entre ces deux morceaux, j’aimerais revenir sur quelque chose d'assez singulier qui m’a amené à effectuer ce parallèle.

     Dans « New Grass », il y a un court passage qui m’a beaucoup troublé (entre 6:50 et 7:30) où l’on ressent, plus que l’on entend, la présence de quelque chose, de voix, peut-être, de voix à peine perceptibles qui résonnent de manière très lointaine. Quelque chose me dit qu’il s’agit, peut-être, de ce passage dans lequel devait apparaître une chorale qui avait été enregistrée, mais n’a finalement pas été incluse (voir le message daté du 13 février 2020). Je sais que je me trompe, mais peu importe...

     A nouveau, j’ai l’impression qu’il n’y a pas ici une démarche visant à nous faire entendre quoi que ce soit (cf. le message daté du 11 février 2020). A nous de ressentir ou non cette présence, cette absence... ce quelque chose qui, au fond, n'aura peut-être jamais la forme de la présence (même s'il est possible d'en percevoir des traces).



  
      Je n’avais jamais trop prêté attention à ce passage jusqu'à récemment, ayant pris l'habitude de me laisser porter par le mouvement du morceau. En repensant à « Scum » et à ses voix prélevées et rejouées dans l’espace de l’église, j’y trouve comme un prolongement du passage de « New Grass », quelque chose de particulièrement étrange que les paroles de « Scum » traduisent bien : 
 
« It’s all around you, It’s all about you (…) You can't escape what you can't see. »

     Je ne peux m’empêcher de penser à Mark Fisher qui s’est appuyé sur la notion d’ « hantologie », forgée par Jacques Derrida, pour se pencher sur la manière dont d’autres « avenirs possibles » coexistent au sein même de notre présent. En ce qui me concerne, le médium de la musique nous permet, de par la manière dont il peut jouer avec nos sensations, de vivre véritablement ces autres avenirs qui font dès lors partie de notre expérience du présent. 

     Il s’agit, pour ma part, d’un acte politique, non seulement parce que de tels exemples nous rappellent que la musique ne relève d’aucun style lorsqu’elle répond à une nécessité, mais aussi parce qu'en tant que geste, elle crée un espace commun qui ne se contente pas de refuser le monde qui nous est vendu comme incontournable (le fameux « There is no alternative » de Margaret Thatcher), mais nous invite à créer et à habiter à chaque instant d’autres mondes comme autant d’autres manières d’être au présent.      

      « Don't tell me that we're all free... »

      Au départ, Graham Sutton (chanteur et guitariste de Bark Psychosis) avait écrit ces paroles en réaction aux messages souvent naïfs et stéréotypés que l’on pouvait entendre dans certaines chansons « house » qui étaient en vogue à l’époque, des déclarations hédonistes qui nous répétaient sans cesse que nous étions toutes et tous libres de faire ce que nous voulions. 

      Avec le recul (presque 30 ans après la sortie de « Scum »), je me dis que Graham Sutton avait bien compris qu’il y avait quelque chose de malhonnête dans tout cela : le côté "Devenez auto-entrepreneurs de vous-mêmes..." ou encore "Connais toi toi-même" (à condition de bien rester à la place que tu t'auto-assignes). Déjà, de quelles libertés parle-t-on ? Celles de se conformer aux modes de vie dominants ? Ou celles qui consisteraient à inventer ensemble d’autres manières de vivre ?

     Dans tous les cas, « Scum » nous rappelle qu’on ne peut échapper à ce qu’on ne voit pas : une autre façon de dire qu’il s’agit d’être extrêmement prudent au regard des formes de liberté dont on peut faire l’expérience.     
 
 
 


 

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