Je souhaiterais revenir sur cette note de musique dont j’ai parlé dans le précédent message, cette note aigüe et… vaporeuse de guitare que l’on entend au milieu du morceau « Vapor Trails » de Grouper. Pour moi, cette note est tout un univers de possibilités, un univers avant tout constitué d’émotions et d’expériences sensibles. J'avais d'ailleurs parlé d'incantation au sujet de la dernière partie du morceau. 
       Peut-être n’est-ce pas le bon mot… J’ai plutôt le sentiment que ces dernières minutes expriment ce que cela fait, une fois franchi un seuil, de vivre dans plusieurs mondes en même temps.  

       De manière plus générale, on pourrait dire que la musique est produite et partagée par des corps conscients des contraintes imposées par la vie sociale. Néanmoins, les émotions suggérées ici laissent entrevoir d’autres expériences, d’autres manières de ressentir les choses. On éprouve une forme de fascination, une sensation de douce étrangeté. 
       Pour ma part, il ne s’agit pas d’une musique éthérée, comme on pourrait trop rapidement le penser. On peut être touché (au sens physique du terme) par les textures, par la matière des sons (j’y reviendrai plus tard avec Loren Connors).  

      Des chemins (« trails ») se laissent entrevoir devant nous à condition que l’on y soit un tant soit peu sensibles. Ils n’en demeurent pas moins difficiles à percevoir, ce qui montre, paradoxalement, à quel point ils peuvent se révéler importants pour tous ceux et toutes celles qui refusent la vie qui a été choisie à leur place. 
      C’est ce qui, selon moi, fait toute la force, tout le charme de la musique de Grouper. Les chansons sont écrites avec soin, mais les sonorités choisies leur donnent des formes qui nous échappent (d’où l’impression que l’on pourrait avoir, par une écoute trop rapide, d’une musique « facile », car apparemment brouillonne). 
      
      Les chemins qui se dévoilent d’une telle manière échappent ainsi à toutes formes de contrôle, car ils se reconstruisent en permanence au fil des émotions ressenties.   

     Cela semble un peu bateau d’écrire que chacun recrée la musique dans sa propre tête, à partir de sa propre sensibilité et de son vécu. Ceci dit, rien ne ressemble à Grouper, à ce mélange unique de rigueur et de mystère qui offre une expérience d’une rare intimité. Les voix et les instruments (guitare électrique et claviers) s’entremêlent sans cesse dans un halo sonore constitué de couches successives qui vont et viennent avant de se transformer ou de disparaître.


      On se trouve, selon moi, face à un curieux paradoxe. Autant l’écoute de cette musique va de pair avec une certaine solitude (impossible, par exemple, de la faire apprécier à quelqu’un qui ne l’aurait jamais écoutée s’il y a plus de deux personnes dans la même pièce), autant elle semble nous faire entendre les autres écoutes qu’il est possible d’avoir à partir de cette musique, comme si nous en venions à partager avec d'autres personnes un même espace tissé de sensations singulières. 

      ... Comme si la musique de Grouper arrivait à faire émerger cet espace commun et à nous mettre en contact avec d’autres écoutes que peuvent avoir d’autres personnes, comme dans un jeu de miroirs.

      Ce n'est peut-être pas par hasard si un de ses plus beaux projets, une collaboration avec la musicienne Jesy Fortino (Tiny Vipers), s'appelle Mirroring. Le morceau ci-dessous fait d'ailleurs directement écho aux « Vapor Trails » de Grouper et fait partie d'un disque qui porte le nom de « Foreign Body » (« Corps étranger »).



                       

               
 

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